Le chemin vers une « économie souhaitable » passe par une Révolution des cœurs — Les Entretiens de Valpré

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Au croisement de l’entreprise et de la personne humaine

Le chemin vers une « économie souhaitable » passe par une Révolution des cœurs

Fonder une nouvelle université et créer un mouvement de dirigeants animés par le cœur serait-il le levier indispensable et le terreau d’une économie souhaitable au 21e siècle ? C’est la conviction que nous souhaitons partager avec vous dans cette tribune.

Début 2021, Jean-Noël Thorel, président fondateur de NAOS (Bioderma, Institut Esthederm) confirme son intuition : le temps est venu de révolutionner l’éducation des dirigeants, afin qu’ils désirent et sachent diriger des entreprises véritablement utiles au monde.

Et il forme le vœu que ces dirigeants prennent à bras le corps trois défis majeurs de notre siècle : l’expansion abusive de l’intelligence artificielle dans tous les domaines de la vie économique et politique – une intelligence sans éthique qui permet de donner le pouvoir aux algorithmes et recèle le potentiel de réduire à néant notre humanité, le dépassement des limites planétaires dont le changement climatique n’est qu’une des facettes, et l’accroissement soutenu des inégalités.

Face à ces défis, n'aurions-nous pas avant tout besoin d’un « post-Harvard », une université nouvelle dont la mission est d’entrainer les aptitudes du cœur des dirigeants ?

Comme l’a écrit Saint-Exupéry :

« l’essentiel est invisible pour les yeux, on ne voit bien qu’avec le cœur ».

 

Heart Leadership University prend corps mi-2021 sous la forme d’une association d’intérêt général à caractère éducatif et scientifique. Elle unit un premier cercle de douze dirigeants pionniers, à la tête d’entreprises petites et grandes, dans une large diversité de secteurs.

Pour nous, le Cœur n’est ni une faiblesse, ni un trait féminin cantonné à l’économie du « care », ni un supplément d’âme utilisé sporadiquement pour « faire un peu de sociétal ». Il est éminemment subversif et un allié de taille pour aborder les transformations dont le monde a besoin : depuis des siècles, le cœur résonne avec « empathie » - une aptitude indispensable à la vie en groupe et avec « intuition » - nous aidant à prendre la pleine mesure des risques majeurs qui sont devant nous, à choisir la bonne route en écoutant ce que notre « part sensible » veut nous dire.  Il résonne aussi avec « courage » - à cœur vaillant, rien d’impossible – et nous allons devoir faire acte de courage dans le siècle qui vient.

Pour diriger et naviguer dans notre monde complexe, certes compétitif mais aussi « intrinsèquement inter-relié et vulnérable », le cœur est fort probablement la boussole qui permet de ne pas poursuivre notre surenchère dans un modèle économique court-termiste, extractif (en énergies fossiles, en ressources naturelles, en data…) et bien trop souvent prédateur, qui conduit inexorablement à une suprématie des sans-cœur, à une fracture sociale grandissante et à des effondrements locaux, et demain, globaux[1]. L’intelligence du cœur permet de penser et construire un monde plus humain et plus juste et d’affronter les transformations nécessaires en meilleur alignement avec soi, avec les autres, et en harmonie avec le monde.

Comment se fait-il alors que les grandes écoles et les universités aient privilégié l’éducation de modèles de leaders guerriers et gestionnaires, au détriment de l’éducation de ce qui fait de nous des humains ? Les enseignements ont été particulièrement resserrés sur la rentabilité économique, la finance ou la technologie, plutôt que d’ouvrir, avec une vision de bien commun, sur la transversalité des disciplines qui permettront de naviguer avec pertinence et humanité dans un monde complexe et fragile.

 

Pourquoi l’amour du pouvoir est-il survalorisé, au détriment du pouvoir de l’amour[2] ? Pourquoi mettons-nous si souvent en avant dans les medias les dirigeants héros de la conquête spatiale ou les figures de la start-up nation, les « grands » leaders de la technosphère et du philantro-capitalisme global, plutôt que « des vrais héros à leur échelle » ?

Nous gagnerons tous à mettre en lumière des dirigeants résolument animés par le cœur comme Alexis Nollet, cofondateur d’Ulterïa en Bourgogne – à la tête d’une très belle entreprise prospère, avec deux fonds d’investissement à impact à son capital et un fonds de dotation actionnaire minoritaire, dont l’objet est de contribuer à un développement rural durable sur ses territoires. Ou encore Guillaume Desnoes[3], cofondateur d’Alenvi, HEC ayant écouté son intuition pour développer une entreprise innovante de services aux seniors qu’on pourrait résumer en un « anti-Orpea », tant par la qualité du lien humain et du soin apporté aux personnes âgées que par son modèle de gouvernance et de management.

Cette réflexion nous permet d’ajouter au terme « économie souhaitable » un complément : souhaitable « par qui, pour qui » - les investisseurs et financeurs, les clients, les habitants et citoyens d’un pays ou d’un autre, les générations futures ?

La question des bénéfices (au sens financier et non financier du terme) est au fond sans doute la plus profonde : elle amène à la question du partage (de la rente du capital, du résultat, du pouvoir, de l’information, des conséquences positives ou négatives de l’activité), et aussi elle pose la question du temps long (capacité à intégrer le futur dans nos décisions[4]).

 

Si l’on vise une économie souhaitable, quels sont aujourd’hui les espaces qui définissent un partage entre qui, à partir de quelles règles, avec quelles interfaces entre la richesse crée par les entreprises et la société.  Sans un travail explicite sur le partage, la voie du cœur reste une utopie. C’est donc logiquement le choix du partage qu’a fait Jean-Noel Thorel en 2014 : créer une gouvernance de type fondation-actionnaire pour pérenniser l’entreprise qu’il a fondée et lui donner une finalité plus grande (contribuer à la réalisation du potentiel humain), faire don de la totalité des titres de son entreprise au fonds de dotation actionnaire, et définir des principes explicites de partage de la valeur entre l’économique et le généreux, entre le court terme et le long terme.

C’est également le chemin emprunté par le cabinet Seabird, qui a mis en place son fonds de dotation actionnaire Seabird Impact, afin de mieux agir pour une assurance inclusive et durable. C’est aussi le cœur du modèle de Bayard, une « œuvre-entreprise » qui a toujours placé son projet pour les lecteurs au-dessus de la logique de rentabilité financière : l’actionnaire n’a jamais réclamé de dividende et les éventuels bénéfices de l’entreprise sont placés dans la préparation de l’avenir. L’ADN de Bayard est depuis son origine il y a 150 ans celui d’une entreprise à mission et le groupe en prendra le statut au sens de la loi Pacte en fin d’année, en créant à cette occasion un fonds de dotation pour en amplifier l’impact.

Pour contribuer à préserver notre humanité au 21e siècle, notre université a choisi de développer ces trois domaines d’activité complémentaires : des parcours de transformation pour dirigeants pour passer « du cœur aux actes », des contenus éducatifs gratuits accessibles à tous avec des formats originaux (une bibliothèque « de cœur » et des débats avec des dirigeants auteurs, une chaine video, une webserie primée aux Green Awards de Deauville qui met en lumière des dirigeants héros animés par le cœur) ainsi que des travaux de recherche ouverts et contributifs en psychologie, sociologie, biologie et gouvernance.

Si le cœur vous en dit, rejoignez le mouvement.

 

Florence Guémy, DG Groupe Bayard ; Cyrille Vu, PDG SeaBird ; Laurence Balas, Administratrice de la Fondation Entreprendre ; Hélène Le Teno, directrice de Jean-Noël Thorel Foundation

 

 

[1] En référence à « Collapse » de Jared Diamond, à la notion d’anthropocène, et à l’ouvrage « La guerre contre la covid : et après ? »
[2] En référence à « Biologie du Pouvoir » de Jean-Didier Vincent
[3] Auteur de « La société du lien, la révolution du comment » et de « Unpacte : et si les entrepreneurs avaient leur serment d’Hippocrate »
[4] En référence à la notion d’homo prospectus, dans « The Good Ancestor » de Roman Krznaric

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