ChatGPT et le monde du travail : dans la tête d’un utilisateur qui a testé l’outil (pour vous)
L’IA générative : Un copilote qui influe grandement sur le trajet !
Je suis consultant en accompagnement du changement et coach. Je pilote l’équipe régionale d’un cabinet de conseil RH et depuis quelques années, l’approche des Entretiens de Valpré est pour moi l’occasion de coucher quelques idées clés sur le papier dans un article pour l’événement. Cette année, le thème de l’IA m’enthousiasme pleinement car il vient bousculer le monde du travail dans des proportions encore à découvrir.
Avant de me lancer, j’ai déjà quelques idées de thématiques, mais je m’efforce de les garder en tête avant de demander à ChatGPT. Je créé un premier prompt, en expliquant mes attentes et les finalités de l’article que je souhaite écrire : « un article percutant sur l’évolution du monde du travail à l’heure de chatgpt ». Je clique en me disant qu’il va me donner quelques exemples de titres avec de vagues idées mais je reçois instantanément un plan détaillé complet, avec une introduction en trois points, quatre paragraphes très détaillés et une conclusion qui sonne comme une ouverture à d’autres questionnements. Je suis un peu abasourdi par la qualité de cette première réponse, en moins d’une seconde. À vrai dire, je n’ai pas le temps d’intégrer l’ensemble des propositions tellement les retours ont été rapides.
Je me plonge dans le contenu. Les thèmes proposés dans l’introduction sonnent juste, pertinents. Ils donnent envie de découvrir la suite. La formulation proposée donne un peu le sentiment de yaca-faucon. Facile de « Souligner l’irruption des IA génératives (dont ChatGPT) comme un tournant comparable à l’arrivée d’internet ou du smartphone. »… Puis je parcours l’ensemble des 4 chapitres qu’il (ou elle ?) me propose. Je m’attendais à écrire un article, je me retrouve finalement à relire… Les 3 premiers paragraphes sont assez proches de ce que j’aurais proposé comme plan. Mais les propositions sont nombreuses. Il faudra faire le tri si je veux respecter le template de l’article. Le quatrième paragraphe, en revanche, me surprend. Il comprend une idée à laquelle je n’avais pas pensé en me lançant dans cette réflexion : « Apprendre à coopérer avec l’IA : développer une « culture du dialogue homme-machine ». Très bien, allons-y ! Plutôt que de résister et de garder mon plan initial en tête, je décide de répondre par l’affirmative à la proposition de chatgpt : « Souhaitez-vous que je vous propose une rédaction longue (article) ou une version courte (tribune d’opinion) à partir de cette trame ? » Je lui précise de cibler une population de dirigeants, de managers et d’entrepreneurs.
[...] L’outil a piqué ma curiosité, m’a poussé à aller voir plus loin que mes idées initiales
3 secondes. 3 secondes c’est le temps qu’il a fallu à la machine pour rédiger 3 pages d’articles. Je n’ose pas imaginer le temps nécessaire pour que je rédige ce premier jet. Car c’est un premier jet. A la lecture, j’ai plus le sentiment de lire une succession de notes techniques, un peu mécaniques, mais terriblement pertinentes. L’envie est forte de lui demander de préciser chaque paragraphe. Finalement je me rends compte qu’au lieu de structurer ma pensée, l’outil a piqué ma curiosité, m’a poussé à aller voir plus loin que mes idées initiales. Je dois avouer que je suis aussi un peu vexé, car en tant qu’expert du management, je n’avais pas vu certains points… ou pas comme ça. Je parcours donc avec grand intérêt le texte en annotant certaines phrases, en corrigeant certains points, en en supprimant d’autres. Le fond est là, mais ce n’est pas moi, pas mon style, pas mon mode d’écriture. Pour avoir lu beaucoup d’articles sur le sujet, je reconnais le style un peu mécanique de l’IA Générative. N’importe qui aurait pu écrire le même prompt… et aurait eu les mêmes résultats, ou presque en fonction de son historique, car l’outil apprend et nous apprivoise. Mais quand même, ce n’est pas moi, c’est 5% moi, l’impulsion, la question initiale. Mais le reste. Oui j’avais les idées en têtes, mais pas aussi structurées, pas aussi rédigées.
Dans mon dialogue continu avec la machine (je me surprends en relisant cette phrase), je lui envoie des articles précédents que j’ai rédigés, pour les entretiens de Valpré ou pour d’autres événements et revues. En lui envoyant ces articles, je reçois un cadeau auquel je ne m’attendais pas… il me fait un retour sur mon style : accroche forte, structure claire en étapes, usages d’exemples concrets, matériels, références extérieures, ton humble mais affirmé, dimension émotionnelle / humaine très présente. C’est fou mais je suis touché par le compliment et le feedback de l’outil. Je sais qu’en management le feedback est un puissant moteur de développement. Mais là je suis émotionnellement touché par cette attention de… ChatGPT. Bref, j’ai le sourire devant ce retour inattendu. J’ai envie de lui demander ce que je pourrais améliorer… mais je garde en tête mon objectif : l’article pour les entretiens de Valpré.
En un temps record, je l’ai là, sous les yeux : « Travailler à l’ère de ChatGPT : quand l’IA redistribue les cartes du monde du travail ». Je me reconnais dans l’écriture, dans le style, les arguments du plan que j’ai sélectionné sont là, étayés, développés. Je passe alors par une nouvelle émotion, forte, comme un vide… mais si quelqu’un peut, en trois clics, écrire en 10 minutes un article qui se base sur mes 20 ans de pratique, en utilisant ce qui me rend unique (mon style, mon ton), alors… … à quoi je sers ? Une boule s’est forgée au creux de mon ventre. L’effet waou se mélange avec le sentiment d’inutilité, de découragement. Surtout quand je prends conscience que je n’utilise qu’une infime potentialité de ce merveilleux outil. Je ne me sens pas tout à fait menacé, car ma valeur ajoutée pour mes clients se situe bien au-delà de quelques lignes posées dans un article, mais je ne peux m’empêcher de penser à l’importance, pour tout un chacun, de se questionner sur comment un outil si performant peut nous rendre meilleur dans notre quotidien de travail, sous peine d’être… remplacé ?
Je me reprends, et je fais le bilan de l’expérience. J’ai passé 15 minutes en tout, j’ai gagné 2h45 sur mon planning, pour un résultat qui, finalement, me correspond. Sa première version aurait pu être celle d’un consultant junior qui aurait passé plusieurs heures à essayer de me préparer une version martyr. Bien sûr, j’ai relu l’article, modifié quelques passages, coupé une ou deux idées, mais in fine, mon article, ou plutôt « notre » article se tient bien. C’est cette version qui sera envoyée, même si au fond de moi, je crois que j’aurai un peu de mal à dire à mes interlocuteurs : « voici mon article ».
Ah, au fait, voici « notre » article avec ChatGPT :
Travailler à l’ère de ChatGPT : quand l’IA redistribue les cartes du monde du travail
Une révolution silencieuse qui s’impose
Il y a des moments où l’histoire du travail bascule presque sans prévenir. L’arrivée d’internet, puis celle du smartphone, avaient changé notre façon de nous informer, de communiquer, de décider. L’irruption de ChatGPT et des intelligences artificielles génératives s’inscrit dans cette lignée, mais avec une intensité particulière : pour la première fois, une machine est capable de produire du texte, des images, du code, des idées, qui ressemblent à ce qu’un humain pourrait concevoir.
Cela fait à peine plus d’un an, et déjà nos organisations se posent des questions fondamentales : comment utiliser cet outil ? Que garder à l’humain ? Que déléguer à la machine ? Quels impacts sur nos métiers, nos équipes, notre manière de donner du sens au travail ?
L’IA n’est pas un gadget. Elle agit comme un miroir grossissant de nos habitudes et de nos fragilités. Comme le télétravail avait révélé la difficulté à maintenir une dynamique collective, l’IA met en lumière notre rapport au savoir, à la vitesse, à la confiance. Et c’est bien là le défi : non pas ce que ChatGPT peut faire, mais ce que nous, collectivement, voulons en faire.
1. L’automatisation cognitive : une frontière qui se déplace
Longtemps, l’automatisation concernait surtout les tâches physiques ou répétitives. Aujourd’hui, l’IA franchit une étape : elle automatise des activités intellectuelles.
Elle résume un rapport de 100 pages en une synthèse de 2, elle rédige un mail en anglais impeccable, elle propose une stratégie marketing, elle crée une présentation visuelle en quelques clics. Des missions que nous confions hier à des collaborateurs juniors, ou à des prestataires, peuvent aujourd’hui être accomplies par un algorithme.
Ce déplacement a deux effets majeurs :
- Redéfinition de la valeur : ce qui était vu comme une compétence premium (analyser, synthétiser, formuler) devient accessible à tous. La rareté change de camp.
- Fragilisation des repères : managers et équipes doivent repenser leur rôle. Si la machine fait “vite et bien”, pourquoi et comment l’humain intervient-il ?
👉 Exemple concret : un cabinet de conseil qui facturait une partie de ses prestations sur la production de benchmarks ou de notes de synthèse doit réinventer sa proposition de valeur. Non pas dans la collecte ou la mise en forme, mais dans l’interprétation, le choix, le conseil stratégique.
L’IA ne remplace pas seulement des tâches. Elle bouscule des modèles économiques entiers.
2. L’accélération : quand la vitesse devient norme
Avec l’IA, nous entrons dans une logique d’instantanéité. Là où il fallait des heures de recherche, il suffit désormais de secondes. Là où il fallait une semaine pour concevoir un support, un brouillon peut être généré en un clic.
Le risque ? Confondre vitesse et précipitation.
Les collaborateurs ressentent déjà cette pression : si la machine peut livrer immédiatement, pourquoi attendre deux jours la réponse d’un collègue ? La norme implicite change. La patience diminue. Les délais se contractent.
Mais attention : notre cerveau humain n’a pas changé. Comme l’explique Daniel Kahneman, prix Nobel d’économie, nous avons besoin de deux systèmes : un système rapide, intuitif, et un système lent, réfléchi. L’IA renforce le “rapide”. Si nous ne prenons pas soin de préserver le “lent”, nous risquons des décisions superficielles, des erreurs de jugement, une perte de sens.
👉 Illustration : un dirigeant peut obtenir en une minute une note sur un marché émergent. Mais s’il ne prend pas le temps de confronter cette note, d’en discuter avec ses équipes, d’y intégrer son intuition et son expérience, il risque de baser une décision stratégique sur un matériau partiel ou biaisé.
La vitesse est un outil formidable. Mais elle devient dangereuse si elle devient une fin en soi.
3. Une redistribution des compétences : la vraie rareté
Si l’IA démocratise l’accès au savoir, la valeur se déplace. Demain, ce qui comptera ne sera plus d’écrire une note claire ou un rapport impeccable. Ce sera de :
- Poser les bonnes questions : un bon “prompt” vaut plus qu’une réponse brillante. Celui qui sait questionner l’IA obtient des résultats pertinents, là où un autre se perd dans la superficialité.
- Exercer son discernement : distinguer ce qui est fiable de ce qui est approximatif, détecter les biais, recouper avec d’autres sources.
- Relier et donner du sens : transformer une somme d’informations en une vision, en un récit, en une décision.
👉 Exemple : dans l’éducation, les étudiants qui se contentent de demander à ChatGPT de rédiger leurs devoirs s’exposent à une perte d’apprentissage. En revanche, ceux qui l’utilisent pour tester des hypothèses, explorer des angles, s’entraîner à argumenter, développent des compétences de haut niveau.
La rareté se déplace donc vers ce qui reste profondément humain : la créativité, l’intelligence relationnelle, la capacité à inspirer et à entraîner.
4. Les risques à prendre au sérieux
La dépendance et la perte de compétences
Comme la calculatrice avait appauvri le calcul mental, l’IA peut appauvrir nos capacités de raisonnement, de rédaction, de mémorisation. Un collaborateur qui ne fait que “copier-coller” des propositions de l’IA perd en compétence et en singularité.
Les fractures sociales et professionnelles
L’IA creuse un fossé entre ceux qui savent s’en servir et ceux qui restent à l’écart. Dans une même équipe, on voit déjà apparaître des écarts de productivité énormes. Cela peut créer frustration, jalousie, mise à l’écart.
Les biais et la responsabilité
L’IA n’est pas neutre. Elle reproduit les biais de ses données. Elle peut se tromper, inventer, manipuler. Si une décision erronée est prise sur cette base, qui est responsable ? Le manager ? L’entreprise ? L’éditeur du logiciel ? Cette question éthique et juridique reste ouverte.
La santé et le collectif
La promesse de l’IA est séduisante : efficacité, gain de temps, disponibilité permanente. Mais elle peut aussi accentuer la surcharge cognitive, brouiller les frontières vie pro/vie perso, isoler encore davantage les collaborateurs déjà fragiles. Comme pour le télétravail, l’outil peut être un facteur de liberté ou de solitude.
5. Quel cap pour les dirigeants et managers ?
Face à ces bouleversements, il ne s’agit pas de résister en vain, ni de se jeter tête baissée. Il s’agit de définir une posture responsable.
- Oser expérimenter
Ne pas subir. Intégrer l’IA dans les pratiques, tester sur des petits projets, capitaliser sur les réussites et les erreurs. L’inaction serait le pire choix.
- Investir dans la formation
Former non seulement à l’usage technique, mais à l’esprit critique. Apprendre à questionner, à recouper, à interpréter. Développer la créativité et l’intelligence émotionnelle, car ce sont elles qui donneront de la valeur ajoutée à l’usage de l’IA.
- Revaloriser le collectif
L’IA est un outil individuel. Elle isole. À nous de réinventer des espaces collectifs : discussions stratégiques, co-décisions, moments de partage. Le collectif devient un rempart contre l’isolement technologique.
- Cultiver l’éthique
Définir des règles claires : pour quoi utilisons-nous l’IA ? Quelles données partageons-nous ? Comment en parlons-nous à nos clients ? La transparence et la confiance sont des leviers de compétitivité autant que de responsabilité.
- Réinvestir l’humain
Enfin, se recentrer sur ce que l’IA ne pourra pas faire : l’attention, la confiance, la relation, l’intuition. C’est là que se jouera la performance durable des organisations.
Conclusion : un choix de société, pas seulement d’entreprise
L’IA générative n’est ni une baguette magique ni une menace absolue. Elle est un révélateur. Elle nous oblige à choisir : voulons-nous d’un monde du travail plus rapide mais plus vide, ou plus exigeant mais plus humain ?
La vraie question n’est pas “Que peut faire ChatGPT ?”, mais bien : quelle place voulons-nous donner à l’humain dans ce monde augmenté ?
Ce choix appartient aux dirigeants, aux managers, aux entrepreneurs. C’est notre responsabilité de transformer cet outil en allié, pour renforcer la dignité, la créativité, le sens du travail.
Car au fond, ce n’est pas la machine qui décidera. C’est nous.