Diane Dupré la Tour — Les Entretiens de Valpré

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Au croisement de l’entreprise et de la personne humaine

Diane Dupré la Tour

Co-fondatrice des « Petites Cantines », un réseau de restaurants solidaires de quartier, ouverts à tous, dont l’objectif est de développer les liens de proximité et de promouvoir l’alimentation durable.

Les Petites Cantines, c’est aujourd’hui 5 implantations à Lyon, Lille et Strasbourg, 2 ouvertures programmées à Annecy et Lyon Part Dieu et des projets sur Paris et Metz.

Depuis 2016, 14 salariés, une douzaine de volontaires en service civique et un peu plus de 15000 membres ont rejoint l’aventure.
L’association, en pleine expansion, a fermé ses portes au public depuis le début de la crise. Mais la réinvention est en cours et l’équipe se prépare à de nombreuses perspectives pour la suite...

Tout d’abord, pouvez-vous nous rappeler les grands principes de votre projet ?

Les Petites Cantines, c’est un réseau non lucratif de cantines de quartier qui rassemblent autour de la même table des habitants, à travers des repas participatifs, en alimentation durable et à prix libre.

Le but derrière tout çà c’est d’améliorer la qualité des relations de proximité, une petite brique pour construire une société qui soit fondée sur la confiance.

En effet, la confiance se joue à un niveau très local - entre voisins, dans une même résidence - mais peut également influer sur la manière de concevoir les politiques publiques par exemple. Bien sûr il faut des organes de régulation, mais on ne dessine pas la même société si l’on pense que la majorité des citoyens ont le désir d’oeuvrer pour le bien commun ou bien si on soupçonne tout le monde de profiter du système. Il s’agit de rentrer dans une posture de contribution, plutôt que de performance ou de consommation. C’est un changement de paradigme économique et social, auquel les Petites Cantines participent.

Une Petite Cantine ressemble à une grande cuisine ouverte au pied d’un immeuble. On vient pour partager un repas, ou même cuisiner si on le souhaite. Il y a des personnes de toutes générations, de tous parcours de vie. Le but de ce lieu n’est pas de lutter contre la précarité économique, mais de servir d’appui à toutes les personnes qui subissent la solitude, que ce soit de manière visible ou invisible. 

On peut avoir des conditions de vie confortables, mais quand même être confronté à une forme de solitude, sur laquelle la société met peu de mots aujourd’hui.

La contribution libre permet d’éviter que le prix ne soit un frein. Pour chaque implantation, c’est environ 3000 adhérents actifs qui s’investissent dans la vie de la cantine. 1/3 des adhérents ont moins de 30 ans, 1/3 de 30 à 50 ans et un dernier 1/3 a plus de 50 ans. C’est un modèle autonome financièrement qui fonctionne sans subvention d’exploitation. En revanche, nous avons des partenaires-mécènes qui prennent en charge les investissements.

En quoi la crise actuelle a t’elle impacté le projet ?

En plein cœur ! Puisque notre raison d’être, c’est de permettre aux habitants de se sentir reliés les uns aux autres. Or, il y a deux manières de se sentir relié : il y a le virus, qui nous rappelle que nous sommes tous interdépendants. Mais il y aussi une interdépendance positive ontologique, qui est celle que l’on vit aux Petites Cantines.

Touchés en plein cœur, donc, et à double titre. Parce que l’on ne peut pas être plus impacté par la crise : entre la cuisine participative, la proximité physique etc… Et en même temps, parce qu’on n’a jamais eu autant besoin de ce qui fait la raison d’être des Petites Cantines !

Ce que je veux vraiment souligner, c’est cette interdépendance positive.

On peut à la fois être interdépendant et autonome. C’est même la caractéristique d’une autonomie mature. Dans notre évolution personnelle, nous passons d’une dépendance totale dans notre enfance, à une contre-dépendance à l’adolescence, puis à l’indépendance en tant que jeune adulte et enfin à l’interdépendance, stade ultime, lorsque l’on a acquis une compréhension plus globale de la vie, et qu’on a accepté pleinement ses vulnérabilités et celles des autres. On est alors dans la gratitude pour ces liens qui nous libèrent, et non plus qui nous aliènent.

Comment réagissez-vous face à cette situation ?

Très concrètement, on perd 15 K€/mois donc évidemment la période est critique. Pour autant, on garde confiance : si notre raison d’être est la bonne, nous trouverons des solutions.

Bien sûr, cela demande de l’adaptation, de l’agilité et de la prudence : on a dû lisser nos charges, on a réduit tout ce que l’on pouvait, on est allé chercher toutes les aides qui été proposées de la part de l’État, la Métropole, de nos partenaires mais aussi de nouveaux mécènes qui se sont présentés... Les habitants se mobilisent aussi...

Par exemple à Strasbourg, on a été contacté par les « Vélos du Cœur » qui souhaitaient s’engager auprès d’une population  particulièrement vulnérable, confinée dans des hôtels, sans cuisine et en situation de grande précarité. Du coup, on a cuisiné pour eux quotidiennement des repas, livrés à vélo. On a prévenu les habitants qui sont venus nous aider et on contribué financièrement pour soutenir cette activité de crise. A Lyon, on prépare également des pique-niques extérieurs et en alimentation durable, dans le respect des gestes barrières : vous partagez un apéro de quartier avec d’autres habitants, mais vous ne savez pas qui ! Il s’agit d’inciter les habitants à sortir de chez eux, en respectant les mesures sanitaires, mais tout en rencontrant de nouveaux visages.

Qui sait les solidarités qui en naîtront ?

Donc, nous nous sommes adaptés mais toujours en fonction des besoins des territoires. Il y a eu une grosse phase d’écoute au démarrage. Nous avons également regardé ce qui se faisait déjà, pour vraiment être dans une aide efficace et ne pas ajouter du brouhaha ou de l’agitation. Et l’on poursuivra cette approche, lorsque les directives nous seront données quant à la réouverture des restaurants, pour dresser les hypothèses des différents scénarios de sortie de confinement. Ce n’est pas toujours pertinent de déployer des actions standardisées.

Nous profitons aussi de ce moment pour resserrer des liens d’équipes autour du projet commun.

Comme la raison d’être s’est trouvée réaffirmée, nous faisons un gros travail d’analyse pour regarder si chaque action initiée jusqu'ici est bien alignée. Notre gouvernance est-elle cohérente ? On a vu qu’il fallait approfondir certaines choses. Par exemple, notre rapport au temps, au sein de la structure, servait-il notre raison d’être ? Est-ce que nous nous donnions les moyens d’assurer une bonne qualité relationnelle, l’une de nos valeurs cardinales ?

Chaque individu, pour construire son identité a besoin à la fois d’interactions sociales de qualité mais également de temps de solitude de qualité.

Ça ne sert à rien de vouloir éradiquer la solitude parce qu’elle fait partie de notre vie. Il faut simplement apprendre à ne pas la subir, à la choisir en quelque sorte. Or, si nous avons toujours fait très attention aux interactions sociales au sein de notre équipe, est-ce que l’on n’a pas malmené nos temps de solitude ? Est-ce que l’on a suffisamment de temps pour soi, pour se ressourcer ? Est-ce que l’on n’est pas en train, par manque de ressourcements, d’assécher le projet ? Et du coup, comment travailler ensemble tout en maintenant ces temps de solitude nécessaires ?
Cela nous a amenés à bien identifier des moments qui sont consacrés au temps personnel et d’autres dédiés aux interactions. C’est très important dans l’équilibre de vie. Tout autant que la séparation entre la vie privée et la vie professionnelle.

Nous avons également souhaité capitaliser sur nos bonnes pratiques. Il y a beaucoup de choses que l’on faisait de manière très empirique et qu’il fallait formaliser par écrit pour être davantage dans la transmission. Nous pensons que la crise va susciter des prises de conscience et des déclics chez des personnes qui auront, ensuite, envie de passer à l’action. Du coup, nous nous sommes outillés pour bien savoir transmettre notre retour d’expériences, non pas dans une dynamique de sachants mais dans une relation entre pairs. C’est à dire  que nous avons bien sûr travaillé le contenu, mais aussi la posture pour que le destinataire se sente, à son tour, en capacité d’enrichir le projet .
Enfin, nous avons, saisi l’opportunité de formations proposées par le FNE-Covid*. Une formation collective a été ainsi proposée à tous les salariés qui le souhaitaient sur deux thématiques : la communication non violente et la gouvernance partagée. Le but étant  d’éviter les relations dominants-dominés dans notre organisation. Ce sont des sujets qu’il faut bien sûr comprendre mais aussi ressentir. Et l’on s’interrogeait sur la capacité de la visio-conférence à transmettre ce champ d’expérience plus émotionnel. La bonne nouvelle, c’est que cela a marché ! Cela nous ouvre des perspectives.

Tout çà, ce sont des moments de transformation qui sont très chouettes.  Donc, oui la période est difficile et le bateau tangue, notamment financièrement, mais la confiance est là. Nous sommes convaincus que demain ne sera pas un rebond mais un déploiement beaucoup plus significatif : c’est un peu comme au jeu de l’oie, lorsque l’on croit que l’on est face à un obstacle… et qu’en fait on a avancé de 3 cases.  Mais pour l’instant c’est encore la crise : comme dans un accouchement, il faut laisser passer les contractions.

Et finalement, ce sera peut être la plus belle aventure des Petites Cantines !

En conclusion, quels enseignements souhaiteriez-vous partager ?

Il n’y a pas de transformation de la société sans transformation de soi. Cela demande, notamment de la part de ceux qui ont un peu d’autorité et de responsabilités, de faire ce travail sur soi et aussi avec les autres. Parce que si le but est vertueux, le chemin pour y parvenir ne l’est pas forcément.

Aujourd’hui, nous observons que ce temps de confinement, et d’introspection, a souvent déclenché cet éveil chez bon nombre d’entre nous. C’est une très bonne nouvelle car, plus que jamais, on a besoin d’entrepreneurs engagés. Donc si certains hésitent encore, c’est peut être le moment de se lancer.

 

*Tout salarié en chômage partiel bénéficie d’un budget de formation – le FNE – qui a été débloqué dans le cadre de la crise : en savoir plus.

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